TRIBUNE
Etre père ou mère, à chacun de choisir
Par Daniel Borrillo, Juriste, maître de conférence à l’université de Paris-Ouest-Nanterre — 13 juin 2017 à 17:46
Un Américain transgenre, Trystan Reese, donnera naissance à un enfant le mois prochain. S’il veut être reconnu comme père, un changement du droit de filiation s’impose.
Etre père ou mère, à chacun de choisir
Depuis que l’identité de genre, en tant que faculté de l’individu à changer son sexe biologique, est acceptée socialement et protégée par le droit, un bouleversement s’est produit non seulement en matière de droits fondamentaux mais également en ce qui concerne la représentation sociale de la parenté. En effet, selon les règles de la filiation, la personne qui accouche est considérée la mère de l’enfant. C’est pourquoi, un homme transgenre de nationalité américaine, Trystan Reese, deviendra mère le mois prochain. Comme en France, la loi américaine n’oblige pas l’individu à se soumettre à une modification physiologique pour changer son sexe juridique à l’état civil. Monsieur Reese a ainsi pu conserver son utérus. La situation n’est pas nouvelle, en février 2012, une affaire analogue avait déjà défrayé la chronique outre-Manche. Selon le vieil adage latin, mater semper certa est (la mère est toujours certaine), la personne (et non pas la femme) qui accouche est présumée, de manière irréfragable, être la mère juridique de l’enfant. Ainsi, un homme transgenre, en conservant ses capacités procréatives, peut légalement devenir la mère de l’enfant. Or, en changeant de sexe, il voudra vraisemblablement être reconnu socialement comme père (et non pas comme mère) mais, dans la situation actuelle du droit, cela demeure impossible.
Pour ce faire, un changement du droit de la filiation s’impose. Il est assez simple et consiste à remplacer les termes «mère» et «père» par celui neutre de «parent». De même, sur le plan administratif, on ne devrait plus parler de «mari» et de «femme» mais de «conjoint». D’une manière plus générale, la question se pose sur la pertinence de la mention du sexe dans les actes de naissance. Si le genre n’est plus une question d’ordre public et qu’il renvoie à l’intime (comme la religion, la race ou les opinions politiques), maintenir cette catégorie dans les pièces d’identité et les livrets de famille ne constitue-t-il une ingérence injustifiée de l’Etat dans la vie privée ? Ces modifications du droit, permettront non seulement de résoudre un certain nombre de questions pratiques, surtout pour les personnes intersexes et transgenres, mais aussi de mettre fin à un dispositif essentialiste et discriminatoire. S’appuyant sur la foi, la nature, la raison, le sens commun ou l’ordre symbolique, la binarité sexuelle sert à maintenir la différence des sexes et des sexualités comme différence hiérarchique. Comme catégorie d’Etat tendant à l’identification officielle des individus, le genre alimente l’illusion naturaliste de l’existence de deux réalités sociales clairement distinctes. L’assignation des individus à un genre est le résultat d’une grille de lecture de la société durablement fragmentée par le poids identitaire du sexe. Le genre apparaît comme le premier des communautarismes et le plus sournois car présenté comme universel et naturel. C’est précisément cette idéologie (énonciation répétitive d’un état de fait non interrogé et formulé de surcroît comme état de droit) qui a rangé la neutralité et l’objectivité du côté masculin. Le véritable universalisme ne peut donc se fonder que sur un sujet de droit neutre vis-à-vis du genre. Toute personne pourra désormais devenir père ou mère car ce n’est plus la biologie qui définit la fonction parentale mais la volonté et la responsabilité individuelles.
Daniel Borrillo Juriste, maître de conférence à l’université de Paris-Ouest-Nanterre